NDLR: Article rédigé avant la loi du 19 février 2024
Publier des photos de ses enfants sur les réseaux sociaux : une banalité risquée ?
Vacances, anniversaires, galas de danse… Publier des photos de ses enfants sur les réseaux sociaux est devenu un acte du quotidien, pourtant pas tout à fait anodin. Cette pratique est si courante que les Anglo-Saxons lui ont donné un nom : le sharenting,néologisme associant le mot share (partager) et parenting (renvoyant à l’adjectif parental). Ce geste pose toutefois des questions de droit à l’image et de responsabilité parentale. À terme, un enfant peut-il le reprocher à ses parents, jusqu’à les mener devant le juge ?
Une étude de 2018 menée par la société McAffee révèle que 24 % des parents publient une photo ou vidéo de leurs enfants sur les réseaux sociaux au moins une fois par jour (plus de quatre fois pour un quart d’entre eux). Pourtant cet acte banal n’est pas sans risque. Car dès l’instant où une photo est publiée, elle quitte la sphère privée pour passer dans le domaine du réseau social, et se retrouver stockée dans les serveurs de multinationales.
En 2015, la viralité du Motherhood Challenge (enjoignant les mamans à diffuser des photos de leurs enfants sur Facebook en invitant leurs amies à faire de même) a été telle quela gendarmerie nationale a dû rappeler les dangers de cette pratique. Les risques d’utilisation détournée des images publiées sur Internet sont en effet nombreux : pédophilie, harcèlement,cyber-intimidation, usage publicitaire… et sont accrus lorsque les images sont identifiées (lieu, date, identité).
Penser à sa responsabilité avant de poster
Mais indépendamment de ces risques criminels, les parents doivent se poser la question de la façon dont ils gèrent le droit à l’image de leurs enfants.Ceux-ci consentiraient-ils à ce que leurs photos soient diffusées sur la toile ?
Cet acte impacte leur e-réputation dès leur plus jeune âge,et ce sont bien les parents qui en sont responsables. L’article 372du Code civil indique que père et mère exercent l’autorité parentale en commun,et que les actes dits « non usuels » requièrent l’accord des deux parents. Or aujourd’hui, publier des photos de ses enfants sur internet est justement un acte non usuel. En effet dans un arrêt du 9 février 2017, la Cour d’appel de Paris, dans le cadre d’un divorce, a« interdit à chacun des parents de diffuser des photographies des enfants sur tous supports sans l’accord de l’autre parent ». Cette décision a sans doute une valeur pédagogique visant à expliquer aux parents que diffuser une photo de leurs enfants n’est pas une pratique banale et qu’il convient de les protéger d’éventuelles dérives. D’ailleurs la Cour d’appel de Versailles s’était déjà prononcée en ce sens le 25 juin 2015.
Poursuites juridiques
En conséquence, un parent peut aujourd’hui saisir la justice pour faire appliquer à l’autre parent l’interdiction de publications concernant l’enfant s’il les désapprouve,ou pour le contraindre à supprimer des publications.
En plus de cette question d’autorité parentale se pose celle du droit à l’image, qui permet de s’opposer à la publication et à la diffusion de toute représentation photographique, filmée ou dessinée, permettant d’identifier la personne. En effet l’article 9 du Code civil indique que « chacun a droit au respect de sa vie privée » etque les parents sont responsables du droit à l’image de leurs enfants jusqu’à leur majorité, ce qui doit inciter à réfléchir avant de les (sur)exposer sur les réseaux sociaux.
De plus, l’article226-1 du Code pénal prévoit que toute personne ayant diffusé ou publié des images de quelqu’un sans son consentement encourt une peine d’un an de prison et une amende de 45 000 euros. Ainsi, les enfants devenus majeurs sont en droit de demander à leurs parents des dommages et intérêts s’ils estiment qu’ils ont attenté à leur droit à l’image et leur vie privée dans la limite de la prescription pénale. Une situation qui pourrait bien se présenter en France dans un avenir proche, car les enfants des parents utilisateurs des réseaux sociaux représentent une génération qui arrive à majorité. Des actions ont d’ailleurs déjà été intentées par des enfants contre leurs parents chez nos voisins européens. En septembre 2016, une Autrichienne de 18 ans a déposé plainte contre ses parents pour avoir attenté à sa vie privée et à son droit à l’image en publiant des centaines de photos d’elle sur Facebook alors qu’elle était mineure. En janvier 2018, le tribunal civil de Rome a ordonné à une mère de retirer les photos de son fils enfant qu’elle avait publiées sur Facebook (et l’a condamnée à devoir verser 10 000 € de dommages et intérêts si elle ne s’exécutait pas ou publiait d’autres photos). Poster des photos de ses bambins est donc loin d’être anodin :risques liés au détournement d’images d’enfants, e-réputation, conflit entre les parents… Mais le risque qui reste encore méconnu est la réaction des enfants devenus majeurs. La loi pourrait aller dans le sens de ceux qui décideraient de se retourner contre leurs parents. Être responsable de l’image de ses enfants prend un tout nouveau sens avec les réseaux sociaux et les parents doivent commencer à en prendre la mesure