L’avocat face aux émotions
Le 13 novembre, j’ai été sidérée, ai éprouvé de la tristesse, de l’effroi, de la stupeur, de la colère… Autant de ressentis, d’émotions et d’états que l’on nous conseille généralement de « gérer », de « canaliser » ou tout simplement de « cacher » en-dehors de ces circonstances exceptionnelles. Dans le cadre des formations au processus collaboratif, nous apprenons à nos confrères à ne pas essayer de « gérer » les émotions de leurs clients mais à les accueillir. J’ai donc eu envie de partager avec vous ces quelques lignes.
Pour le professeur de neurologie, neurosciences et psychologie Antonio Damasio, « une émotion est une collection complète de réponses chimiques et neurales automatiques permettant une réponse physiologique immédiate et protectrice. Un sentiment est la transcription de cette émotion sur le théâtre de l’esprit à l’aide d’un processus conduisant à la production d’images mentales ». Ainsi, l’émotion est protectrice et elle précède le sentiment.
Si l’émotion est protectrice, c’est qu’elle est traitée par le cerveau limbique, ce « cerveau dans le cerveau », plus primitif, plus rapide et adapté à des réactions essentielles à la survie. C’est ce cerveau qui réagit immédiatement en cas de danger en interrompant instantanément les activités du cerveau cognitif – ou néocortex – qui mémorise, reconnaît, apprend, raisonne, etc. En coupant la communication et les actions du cerveau cognitif, le cerveau limbique cherche à concentrer toutes les énergies à ce qui est essentiel à la survie. Si ce réflexe a pu être essentiel à la survie de notre espèce, il est encore très utile dans nos quotidiens. Mais il est aussi source d’un dérèglement potentiel : car lorsque que le cerveau « émotionnel » prend le dessus sur le cognitif, nous ne sommes plus à même de prendre des décisions sages, raisonnées et raisonnables..
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Accueillir les émotions
Dans les cas de stress important, d’émotions fortes, le système d’alarme se déclenche, l’afflux d’adrénaline coupe les fonctions cognitives et le cerveau cognitif est donc « débranché ». Il est alors extrêmement difficile, voire impossible de raisonner ou parler rationnellement avec quelqu’un qui est dans cet état. En tant que praticiens du droit collaboratif, nous sommes sensibilisés à cela et nous apprenons à accueillir les émotions de nos clients pour que leur cerveau cognitif se « rebranche ». De nombreuses expériences scientifiques ont en effet montré le lien de causalité qui existe entre l’expression de l’émotion et la reconnexion des deux cerveaux. Plus fort encore, les personnes qui ont pu exprimer leur émotion ont pu avoir une analyse plus fine de leur problème et de leur situation. Par l’expression et l’accueil de l’émotion, nous sommes donc mieux à même de prendre les bonnes décisions.
C’est d’autant plus important dans ma pratique d’avocat en droit de la famille, car je reçois des clients chargés d’émotions fortes, mais qui viennent chercher des conseils pour lesquels le cerveau cognitif doit impérativement être connecté. Il ne s’agit pas pour moi de traiter, ou de travailler sur ces émotions – je laisse ça à d’autres professions – mais bien de leur donner un espace d’expression. C’est grâce à cette approche humaine que le processus collaboratif, permet de trouver des solutions durables à des conflits profonds.
Cet article a été rédigé à partir du livret remis aux participants des formations au processus collaboratif dispensées par l’équipe des formateurs de l’AFPDC.
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