A l’occasion de l’anniversaire du cabinet qu’elle a créé, Nolwenn Leroux s’est prêtée au jeu de l’interview. Trois questions pour parler de son parcours, de sa pratique et de sa perception de l’avenir. Pour elle, le droit de la famille est un exercice passionnant humainement autant qu’intellectuellement.
Pourquoi t’es-tu orientée vers le droit de la famille ?
J’ai toujours eu cette idée en tête bien avant de commencer mes études de droit (après avoir voulu être trapéziste ou danseuse !). C’est d’autant plus surprenant que c’est une discipline que l’on étudie en première année de droit et qu’on ne revoit plus par la suite sauf en se spécialisant. Mais, j’ai tout de suite été attirée par cette matière vivante, riche d’une histoire qui concerne tout le monde, qui parle véritablement à tous. Je n’imaginais pas pour autant à quoi ressemblait le quotidien d’un avocat en droit de la famille.
Par la suite, j’ai fait des stages dans des cabinets d’avocats durant mes études ainsi qu’auprès de Jean-Pierre Rosenczveig, alors président du tribunal pour enfants de Bobigny, et j’ai caressé l’idée de devenir avocat d’enfants. Or, non seulement le métier est particulièrement dur, mais il implique aussi de faire du pénal pour traiter toute la problématique rencontrée par ces enfants. Et je n’ai jamais aimé le pénal. J’ai donc décidé d’élargir le champ de compétence et j’ai fait le seul DEA en droit de la famille qui existait alors, à Lyon. Depuis je ne regrette absolument pas ce choix car je ne m’ennuie jamais. Divorces/séparations, problématiques autour de la filiation, adoptions, mises sous protection des majeurs, changement de noms, mais aussi liquidations de régime matrimonial, successions… C’est très vaste et varié ! Nous nous servons du droit, que nous appliquons à la vie des gens, à leur situation concrète. Nous ne faisons pas du droit pur et dur. Notre travail consiste à écouter, à comprendre nos clients et à voir comment le droit peut les aider. Le droit de la famille demande par ailleurs une certaine créativité : il regroupe des notions assez floues pour que l’on puisse les modeler, les interpréter. Chaque personne, chaque histoire, chaque famille est différente. « Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l’est à sa façon », écrivait Tolstoï. Je le vérifie quotidiennement.
Tu t’es très vite intéressée au droit collaboratif. Aujourd’hui, tu es investie dans l’Association Française des Praticiens du Droit Collaboratif (AFPDC), formée à la pratique et devenue toi-même formatrice. Comment le droit collaboratif a-t-il fait évoluer ta pratique ?
J’ai toujours voulu être avocat-conseil bien plus qu’un avocat judiciaire : plaider ne m’intéresse pas particulièrement ; ce qui compte pour moi, c’est de me creuser assez la tête sur un dossier pour trouver une issue satisfaisante et pérenne pour mon client. Or, je suis convaincue qu’une issue satisfaisante pour l’un passe souvent par une solution gagnant-gagnant. « Écraser l’autre », comme on peut entendre parfois, fait peut-être du bien sur le moment, mais est-ce vraiment un succès ?
Le droit collaboratif est arrivé en France en 2007. Je me suis formée en 2008, puis en 2010. J’ai découvert une pratique alternative, une autre manière de faire du droit de la famille. C’était très excitant et challengeant ! Ça allait dans le sens qui me convenait, et, tout naturellement, mon cabinet a basculé vers l’amiable : aujourd’hui, nous n’avons que 10% de contentieux dans nos dossiers. Car, s’il faut aller au contentieux, nous y allons, évidemment ! Mais il faut que ça soit vraiment opportun. J’ai finalement réussi à créer le métier que je voulais exercer : avocat-conseil en droit de la famille.
Comment vois-tu les 10 prochaines années pour la pratique du droit de la famille en France ?
Je regrette que nous subissions les réformes de la justice là où nous, avocats et praticiens du droit, devrions être proactifs. Ceci étant dit, la tendance actuelle étant à la déjudiciarisation – plus d’intervention du juge aux affaires familiales lors de divorces amiables par exemple – on encourage vivement les modes amiables. Je devrais m’en réjouir, si ce n’est qu’on ne peut pas imposer à quelqu’un de faire de l’amiable : ça doit être un choix de chacun et non un moyen de faire des économies sur le budget de la justice. L’avocat de demain ne ressemblera pas à celui d’hier, c’est une évidence. La part du contentieux va diminuer et tous les avocats devront inévitablement se former aux modes amiables.
Je ne sais vraiment pas de quoi l’avenir est fait, mais je suis convaincue que nous devrons faire preuve d’adaptabilité. Nous sommes peut-être voués à disparaître en tant qu’avocats pour s’inscrire dans une sorte de grande profession du droit avec les huissiers, les notaires, etc. La société évolue vite, le droit et la pratique des avocats doivent suivre. C’est peut-être encore plus vrai pour le droit de la famille qui est en prise directe avec la société. Quoi qu’il en soit, quels que seront nos nouveaux rôles, nos nouvelles postures, nos nouvelles fonctions, le droit de la famille, lui ne disparaitra pas, et j’espère bien être toujours là pour le pratiquer.