Tout ce qui est à moi est à toi… même mon entreprise ? Avec un mariage toutes les 90 secondes en France1 et un français sur quatre qui se rêve entrepreneur2, la question du lien entre les deux se pose immanquablement.
Si l’un des époux a créé son entreprise ou détient des parts sociales dans une société, que se passe-t-il pour son conjoint, notamment en cas de divorce ou de décès de l’époux-associé ? Et quel impact pour l’entreprise ? Maître Frédéric Maury, du cabinet FM Avocats, Avocat à la cour spécialisé en droit des sociétés, nous éclaire sur les points à anticiper.
Si au sein d’un couple marié l’un des époux est associé dans une entreprise, quelles questions peuvent se poser au moment de la dissolution du mariage ?
Frédéric Maury : Au moment de création d’une entreprise, le principe est que chaque époux peut apporter« librement » ses biens propres. Pour les époux soumis au régime de la communauté de biens, les droits sociaux attribués à un époux, en contrepartie d’apport de biens propres, demeurent des biens propres quoiqu’il advienne. Pour ceux qui sont soumis au régime de la séparation, le conjoint de l’époux associé pourra revendiquer la qualité d’associé si le mariage prend fin, à la seule condition d’avoir fait un apport dans la société – une situation qui peut s’avérer tendue vis à vis des autres associés.
Sous le régime légal, les questions se posent différemment selon que la société créée est une société par actions ou une société à responsabilité limitée. Dans le cas d’une société par actions, seul l’apporteur a la qualité d’associé. Mais à la dissolution de la communauté, les actions demeurent des biens communs et leur valeur est partagée entre les époux. Dans les autres cas, si l’apport ou l’achat est fait avec des biens communs, seul l’époux apporteur a la qualité d’associé. Toutefois, le conjoint bénéficie d’un droit de revendication et la valeur des parts tombe en communauté. Cela signifie qu’en cas de décès, si l’époux survivant n’est pas agréé par les autres associés, il ne devient pas associé mais a droit,quoiqu’il arrive, à la valeur des droits sociaux du défunt au jour du décès.
Comment éviter les déconvenues, voire les conflits, notamment vis à vis les autres associés ?
Frédéric Maury : Il est possible de faire signer un document spécifique à l’époux au moment de la création de l’entreprise, pour lui faire renoncer à son droit à revendiquer sa qualité d’associé. L’époux qui s’associe peut également réaliser une déclaration de remploi (et c’est vivement recommandé), à joindre expressément aux statuts de l’entreprise : il s’agit de clauses précisant qu’il a utilisé ses fonds propres pour investir dans l’entreprise et que les parts sociales ne sont donc pas des biens communs. Un contrat de mariage peut également permettre d’organiser les choses le plus en amont possible.
Mais attention : en cas de dissolution de la communauté, s’il est bien possible de renoncer à la qualité d’associé, il est totalement impossible de renoncer à l’équivalent en valeur des actions ou parts concernées. Quoiqu’il arrive, celui qui se voit attribuer la moitié des parts de son ex-époux peut seulement renoncer à la matérialité de l’action ou de la part, pas à sa valeur.
En quoi les conséquences d’une dissolution du mariage diffèrent-elles selon le type de société ?
Frédéric Maury : En effet,le choix de la forme sociale de l’entreprise est important. Dans le cas d’une SARL, un agrément est nécessaire pour qu’un tiers devienne associé. En cas de divorce ou de décès de l’époux-associé, les autres associés peuvent donc refuser d’agréer le conjoint. Ils doivent toutefois racheter ses parts. Dans le cas d’une SAS l’agrément n’est pas obligatoirement prévu. Les actions sont des biens communs, dont la valeur est partagée entre époux en cas de divorce. Et en l’absence de règle établie en amont, le conjoint peut revendiquer la qualité d’associé comme il le souhaite, que cela plaise ou non aux autres associés.
Et dans le cas d’une entreprise individuelle ?
Frédéric Maury : Dans le cas d’une entreprise individuelle le patrimoine de l’entreprise et celui du couple sont confondus, puisqu’il n’y a pas le « filtre » que représente une« personne morale », à la différence d’une SARL ou SAS. Ce flou entre personnel et professionnel peut créer des complications en cas de divorce ou de succession, notamment si le couple a des enfants : l’entreprise individuelle ne peut se transmettre ou se diviser de manière aussi organisée que dans le cas d’une personne morale.
Globalement, plus l’entreprise est « petite » en termes de structure, ou familiale, plus les choses peuvent se révéler compliquées en cas de rupture du mariage. L’entreprise individuelle est donc intéressante en début d’activité, mais je recommande de passer rapidement à un vrai statut de société
Le(s) mot(s) de la fin ?
Frédéric Maury : Je vais les emprunter à Léonard de Vinci : « Ne pas prévoir l’avenir, c’est déjà gémir »… Plus vous adresserez ces sujets en amont, au moment du mariage ou de la création d’entreprise, plus la situation sera claire et sereine le moment venu.
Sources
1 Insee, 2018
2 OpinionWay, 2018